quatre jeunes de Thonon ont survécu à l'avalanche de Val-d'Isère«ce n'était sans doute pas notre heure... » Quarante ans après l'avalanche meurtrière de Val-d'Isère, Monique Lausenaz, Denise Jacquet et sa belle-soeur Andrée Roch se souviennent.
A l'époque, elles avaient respectivement 24, 21 et 29 ans, et toutes trois étaient parties en stage dans la station en compagnie de Georges Roch, lui aussi 29 ans, frère de Denise et mari d'Andrée.
« Nous avions fait la route dans la même voiture depuis Thonon, pour un stage d'une semaine à l'UCPA », racontent-elles.
Mardi matin, 8 h 10 Mardi 10 février au matin, le petit groupe était en retard au petit-déjeuner : c'est aussi ce qui lui a sauvé la vie, car il ne restait plus de place qu'à la dernière table à côté du couloir et de la sortie.
« La majorité des stagiaires mangeaient dans le réfectoire sud, où il y avait de grandes baies vitrées. Nous, nous étions dans le réfectoire nord, celui qui a le plus pris. »
L'avalanche s'est déclenchée à 8 h 10.
« Il neigeait des flocons gros comme ça, se souvient Denise.
Georges m'a dit : "Mange, sinon tu ne tiendras pas sur tes skis !"
Et je lui ai répondu qu'avec un temps pareil, je n'allais sûrement pas skier." »
Elles se rappellent aussi les messages diffusés ce matin-là dans la station par haut-parleurs, pour inviter les gens à rester chez eux en raison du temps épouvantable.
« Ils avaient à peine fini leur discours que l'avalanche est arrivée. »
D'abord un grondement.
« J'ai pensé à un tremblement de terre, dit Denise, pas le moins du monde à une avalanche. »
« C'est descendu à 200 km/h », glisse Andrée.
« Je me suis dit : "Ça roule...", raconte Monique. C'était tellement rapide ! Quand j'ai réalisé qu'il se passait quelque chose d'anormal, j'ai juste eu le temps de voir exploser les vitres près des cuisines. »
Et dans la seconde suivante, la neige a tout dévasté.
Prises sous la neige « Nous nous sommes retrouvées plaquées au fond de la salle, comme prises dans du béton. »
Georges, lui, est projeté contre le mur, près du plafond ; c'est lui qui appelle au secours et indique aux sauveteurs la présence de ses proches sous la neige. Les jeunes femmes, elles, ont la chance d'avoir une petite poche d'air pour respirer.
Malgré tout, Monique et Andrée perdent très vite connaissance ; Denise, elle, reste consciente.
Combien de temps a-t-elle attendu ?
Elle ne saurait le dire avec certitude.
« Quand je suis revenue à moi, raconte Andrée, c'était l'armée qui était en train de me sortir de la neige. »
Partout autour, c'est la panique.
On entend des cris, des appels à l'aide.
« Comme nous étions près de la sortie, nous n'avons pas été blessés par les gros blocs de béton qui ont tout détruit en façade.
Nous avons aussi eu la chance que les secours aient commencé de notre côté. Sinon, nous serions morts. »
« On était en hypothermie, poursuit Denise. Alors on nous a allongées pour nous frictionner les pieds et les jambes avec de la gnôle. »
Monique, elle, doit être conduite à l'hôpital. Quant à leur voiture garée dehors, « elle était en accordéon, à 5 mètres du sol ! »
Sentiment d'abandon Mais la suite s'est avérée tout aussi pénible.
« Nous avons été logées pendant deux jours dans une annexe, mais autrement c'était "Débrouillez-vous !" Personne ne nous a pris en charge. »
Par mesure de sécurité, dans un premier temps il est impossible de retourner au centre pour récupérer ses affaires et donc de l'argent.
« Il n'y avait pas de téléphones portables à l'époque , rappelle Monique, alors il était difficile de prévenir nos familles. »
Et ce d'autant plus qu'au bureau de poste, personne n'accepte de laisser téléphoner les quatre rescapés.
« C'est une dame qui nous a vus, et qui a pris sur son argent à elle pour envoyer un télégramme à notre famille. »
Mais ce télégramme disant que tous les quatre étaient vivants, les parents d'André n'ont pas voulu le croire « parce que ce n'était pas nous qui l'avions envoyé et que nous n'avions pas téléphoné ».
Les quatre Chablaisiens se sentent méprisés, oubliés, abandonnés à leur sort.
Sauf à un moment : « On est venu me chercher pour reconnaître des corps à la chapelle ardente, se souvient Denise, mais comme nous étions arrivés le week-end juste avant, on ne connaissait personne... »
Et à la fin, « on nous a posés devant la gare, comme de vulgaires touristes, en nous laissant rentrer par nos propres moyens ».
Une semaine plus tard, le centre de ski leur a envoyé un bon de réduction pour un nouveau séjour...
Des séquelles « Ça ne se faisait pas à l'époque, mais une cellule de soutien nous aurait aidées », estime Andrée. Monique et elle ont fait une petite crise de nerfs après l'avalanche, et ont cherché à « évacuer le traumatisme » dans les années qui ont suivi.
Mais Monique explique que depuis elle n'aime pas être enfermée ; et toutes trois repensent à la catastrophe chaque 10 février à 8 h 10.
« Georges a fait une dépression ; il l'a toujours, d'ailleurs. »
Quant à Denise, elle a découpé tous les articles de presse sur le sujet et dit y penser tous les jours.
« Sans doute parce que je n'ai pas perdu connaissance, suppose-t-elle. Mais tous ces films catastrophes à la télé, tous ces reportages sur des catastrophes dans le monde, je ne peux pas les voir. Et je ne supporte pas d'être enfermée. Même les ascenseurs m'oppressent. »
La vie continue Pour autant, Georges et Andrée sont retournés plus tard sur les lieux.
Tous ont repris le ski.
« Au fond, nous sommes partis tous les quatre et nous sommes revenus tous les quatre : c'est un miracle. Il n'y a eu que deux autres survivants dans ce réfectoire. Dans le train au retour, on se disait : "On aurait pu ne redescendre qu'à deux". »
Miraculés, ils ont depuis un autre regard sur la vie : « On l'apprécie d'une toute autre manière », avoue Monique.
Denise confirme : « Après ça, les petites bagatelles n'ont plus d'importance. »
Le Messager