En 1924, c'était une feuille de ouate jetable prévue pour le démaquillage.
Ce sont les consommateurs qui en ont détourné l'utilisation au début des années 1930.
Au point de transformer un nom propre en nom commun !
Derrière un kleenex, je saurai mieux comment te dire adieu », susurre Françoise Hardy en 1968, dans une chanson signée Serge Gainsbourg. « Antoine, raidi, écoutait les bruits légers dans la salle de bain. Le déchirement des kleenex, le crissement de la brosse à cheveux couvraient largement pour lui les violons et les cuivres du concerto », écrit Françoise Sagan dans La Chamade (1965).
Publicité gratuite pour la marque car ni la chanteuse ni l'écrivain n'ont reçu le moindre centime pour avoir chanté ou écrit le mot kleenex.
Au reste, l'heure n'est pas - encore - au placement de produit rémunéré, comme ce sera le cas pour Aston Martin, Rolex, BMW... pour ne citer que les marques « partenaires » du célèbre James Bond.
A l'instar de Frigidaire, Sopalin ou Coca-Cola, Kleenex figure dans le Larousse comme nom commun.
Pourquoi ?
Parce que le produit est, à sa naissance, radicalement nouveau et que, demeurant longtemps seul sur son marché, il finit par le représenter.
La marque devient alors générique, au risque de disparaître si elle ne défend pas clairement son territoire.
Le mot devient synonyme de « jetable » et est utilisé pour désigner la « génération kleenex » ou les « salariés kleenex ».
Les origines remontent à la Première Guerre mondiale quand la société américaine Kimberly-Clark, créée en 1872 à Neenah (Wisconsin) par John Kimberly et Charles Clark pour transformer des copeaux de bois en matière première, invente en 1914 un produit en ouate fabriqué à base de cellulose.
Baptisée Cellucoton, cette ouate devient rapidement un matériau médical incontournable dans les hôpitaux militaires.
Utilisée par les infirmiers qui prodiguent les premiers soins, cette ouate se substitue souvent au coton devenu rare et sert parfois de serviette hygiénique de secours pour les infirmières.
Aussi, la société Kimberly-Clark se lance-t-elle, au sortir de la Grande Guerre, dans la fabrication de protections périodiques sous la marque Kotex.
C'est sous le nom de Kleenex (de l'anglais clean, « propre », avec pour suffixe « ex », emprunté au mot express), que la société commercialise, en 1924, un tissu en ouate de cellulose qui fait alors office de serviette à démaquiller pour répondre à l'avalanche de produits cosmétiques lancés sur le marché par des grandes marques comme Helena Rubinstein ou Elizabeth Arden.
Sa particularité ?
C'est le premier substitut jetable aux textiles à démaquiller !
En 1929, Kleenex, alors produit de luxe, est proposé dans une boîte avec un système d'ouverture par le dessus qui laisse s'échapper les feuilles une à une à chaque utilisation.
Slogan de la première réclame américaine : « Les stars de l'écran, dont le teint est constamment sous les feux des projecteurs, se démaquillent avec Kleenex. »
Pas pour longtemps, car un test consommateur, réalisé en 1930, va donner au produit sa vraie fonction : 60 % des acheteurs l'utilisent comme mouchoir jetable !
Une révolution dans l'hygiène corporelle à laquelle va bien sûr s'associer Kimberly-Clark en repositionnant Kleenex comme concurrent du mouchoir en tissu que l'on doit toujours laver et repasser.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la société participe à l'effort de guerre en adaptant la ouate à des usages industriels.
C'est en 1960 que Kleenex débarque en France et devient incontournable grâce à la publicité.
« Zut un rhume ! Chic un Kleenex ! » clame un slogan de 1966.
Cette année-là, Kimberly-Clark s'associe avec Sopalin (acronyme de Société de papier linge), fabricant d'essuie-tout ménager depuis 1946, pour produire les mouchoirs Kleenex dans l'usine de Sotteville-lès-Rouen : cent vingt millions de boîtes en sortent tous les ans pour l'Europe. Aujourd'hui, Kimberly-Clark produit chaque année plus de trois milliards de mouchoirs jetables.
L'Américain en utilise 1 200 par an, un Anglais 500, le Français 160.
La matière principale est la fibre de cellulose obtenue en transformant de la pâte à papier en ouate.
Kimberly-Clark achète de la pulpe de bois provenant de coupes à blanc des forêts de l'Ontario et de l'Alberta au Canada.
Cible de l'association écologique Greenpeace en 2005, qui l'accuse alors de détruire les forêts et de menacer l'habitat naturel d'espèces en voie de disparition comme le caribou des bois, Kimberly-Clark lance un programme interne de certification des forêts.
L'heure n'est plus au mouchoir en tissu, celui qui fit, depuis 1750, la réputation de Cholet et ses cinq cents fabricants !
Il était carré, et non plus rond ou triangulaire, depuis que Marie-Antoinette avait jugé cette forme plus esthétique et plus commode, et que Louis XVI promulgua des lettres patentes en 1782 pour l'imposer.
Carré ou rectangulaire, Kleenex l'est aussi et étend sa gamme avec le premier mouchoir enrichi d'un baume au calendula, utilisé depuis le Moyen Age pour ses vertus adoucissantes et antiseptiques.
Kleenex n'est plus exactement synonyme de mouchoir, puisque la marque signe, depuis 1991, un papier toilette « haut de gamme », et, depuis 1995, des couches culottes, les Kleenex Huggies.
En 2003, la marque a même effectué un retour à ses origines avec la commercialisation de Kleenex Cosmetic, destiné au... démaquillage !
Repères
1914 La firme américaine Kimberly-Clark invente un produit en ouate de cellulose utilisé par les infirmiers.
1924 Commercialisation d'une serviette à démaquiller jetable.
1930 60% des acheteurs l'utilisent comme mouchoir jetable.
2007 Chaque année, trois milliards d'unités sont produits.
Sujet: Kleenex : le mouchoir qui fait mouche 
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