Femme de lettres française.
Marie de Rabutin-Chantal , marquise de Sévigné. Orpheline à seize ans, élevée par son grand-père, puis, à la mort de celui-ci, par son oncle, l'abbé Philippe de la Tour de Coulanges, qui possédait un château à Sucy, près de Paris, entourée de soins par Christophe de Coulanges, le «Bien-Bon», la future marquise de Sévigné reçut une instruction et une éducation exemplaires.
On a cru longtemps que les poètes érudits Chapelain et Ménage furent ses précepteurs.
En vérité, ils furent seulement ses amis, et Ménage (1613-1692) beaucoup plus tard que Chapelain (1595-1674).
Elle épousa en 1644 le marquis de Sévigné, léger et dépensier, dont elle eut deux enfants, une fille (1646) et un fils (1648).
Veuve en 1651, elle passa le temps de son deuil dans sa propriété des Rochers, en Bretagne, puis revint à Paris, où elle mena une vie mondaine très brillante.
Une «veuve jeune et belle»
Bussy-Rabutin devait faire de cette «veuve jeune et belle» un portrait cruel dans son Histoire amoureuse des Gaules.
En 1669, elle marie sa fille au comte de Grignan, qui fut nommé, deux mois plus tard, lieutenant général de Provence.
Cette séparation fut pour Madame de Sévigné un cruel déchirement.
Elle s'efforça de suppléer à l'absence de sa fille par une correspondance des plus suivies.
Et c'est à cette circonstance que nous devons les Lettres (1671-1696) de Madame de Sévigné.
La marquise de Sévigné mourut le 17 avril 1696, à Grignan, où elle était venue soigner sa fille, gravement malade.
Un journal quotidien
Ses Lettres , au nombre de 1500 environ, ont été connues de son vivant, souvent copiées et transmises de main en main.
Un premier recueil, très incomplet, parut en 1726.
Ce fut un succès, et Madame de Simiane, la petite-fille de la marquise, s'occupa de faire publier une nouvelle édition plus complète entre 1734 et 1737.
En 1820 fut découverte une copie de 1055 pages, qui servit à établir l'édition des Grands Ecrivains de la France.
Enfin, en 1872, fut découvert un recueil de quatre volumes de la copie de Madame de Simiane.
Les éditions modernes s'appuient sur ce manuscrit.
Le plus grand nombre de ces lettres est adressé par Madame de Sévigné à sa fille, la comtesse de Grignan. Mais Madame de Sévigné a aussi d'autres correspondants: d'abord son fils Charles, et son cousin, le vaniteux et médisant Bussy-Rabutin; puis le jeune ménage Coulanges; enfin ses amis: Madame de Pomponne, le cardinal de Retz, La Rochefoucauld, le philosophe Corbinelli, qui fut son lecteur, Madame de La Fayette, Madame Scarron, etc.
Les Lettres constituent, du point de vue historique, une source de documents précieux sur la vie aristocratique au XVIIe siècle.
La correspondance de Madame de Sévigné est un véritable journal quotidien qui nous donne la physionomie exacte de la cour de Louis XIV, des salons, de la vie de la noblesse en province, et relate une multitude d'épisodes, petits incidents ou grands événements, élaborant une sorte de chronique du règne de Louis XIV: le mariage de la Grande Mademoiselle (lettre du 15 décembre 1670), le procès de Fouquet (lettres du 20 novembre 1664 et suivantes), le passage du Rhin (lettre du 3 juillet 1672), la mort de Turenne (lettre du 20 août 1675 et suivantes), la disgrâce de Pomponne (lettre du 29 novembre 1679 et suivantes), la mort de Condé, celle de Louvois (lettre du 26 juillet 1691).
La correspondance de Madame de Sévigné est le chef-d'œuvre épistolaire du XVII e siècle, comme celle de Voltaire le sera au siècle suivant.
Le naturel et l'imagination en sont les qualités essentielles.
Madame de Sévigné n'écrivait pas pour la postérité; aussi laissait-elle, selon son expression, «trotter sa plume la bride sur le cou», bien qu'elle ne s'abandonnât pas au hasard.
Les Lettres ressemblent ainsi à une conversation, dont le ton varie avec les interlocuteurs et les sujets, se fait tour à tour gracieux, enjoué, malicieux, grave, sévère, pathétique, s'élevant même parfois jusqu'au sublime, mais reste simple et «coule de source».
Elle fait usage d'une langue riche, précise, colorée, pittoresque, forte, où le terme cru lui-même a sa place ainsi que les mots empruntés au vieux parler et au vocabulaire des «précieux».
Une femme de coeur et d'esprit
La qualité essentielle de Madame de Sévigné est d'être une femme de cœur.
Elle aime passionnément ses enfants, en particulier sa fille, dont les sentiments ne paraissent pas répondre aux siens: elle déborde d'affection tendre et de douleur sincère.
Elle est également très attachée à ses amis: malgré leur disgrâce,
elle n'abandonne ni Pomponne, ni Fouquet, ni le cardinal de Retz.
Si elle montre tant d'indifférence pour les paysans révoltés de Bretagne ou les victimes des dragonnades, tant d'insensibilité lors du procès de la Brinvilliers (lettre du 17 juillet 1676) ou de la Voisin (lettre du 23 février 1680), c'est qu'elle partage les préjugés du temps.
Aux qualités du cœur, la marquise joint celles de l'esprit. La vie mondaine qu'elle mène ne l'empêche pas de songer aux grandes questions: à la vieillesse qui vient (lettre du 27 janvier 1677), à la brièveté de la vie (lettre du 3 avril 1681), à la mort prochaine (lettre du 16 mars 1682).
Elle trouve le temps de lire beaucoup et, si elle se plaît aux romans héroïques de Mademoiselle de Scudéry et de La Calprenède ou aux petits vers de Voiture, elle préfère les écrivains profonds et vigoureux: les Latins comme Virgile et Tacite, qu'elle lit «dans la majesté du texte»; les Italiens comme Le Tasse; saint Augustin, Montaigne; Corneille, qu'elle juge supérieur à Racine au point de se montrer injuste envers celui-ci (lettre du 16 mars 1672).
Mais elle reviendra plus tard à une appréciation plus exacte de notre grand tragique, après la représentation d'Esther (lettre du 21 février 1689).
Elle «court en Bourdaloue», «qui frappe comme un sourd»; elle aime Molière et La Fontaine, qu'elle apprécie avec finesse (lettre du 29 avril 1671).
Car - sentiment rare à son époque -
elle comprend la nature comme La Fontaine, elle goûte les charmes de la campagne, comme le montrent ses lettres sur la prairie et les faneurs (22 juillet 1671), le parc des Rochers (29 septembre 1675), les arbres du Buron (27 mai 1680), le printemps aux Rochers (10 avril 1690).
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