Georgette a 95 ans,Henri 98. Le souhait de ces tourtereaux unis depuis 1936 ? « Que ça dure… ». Georgette à Henri avant de se lancer dans la séance photo : « Vas-y poulet,fais sembler de m’aimer ! »Bal du printemps,mars 1936,à Sarcelles-Village.
Pas tout à fait le Sarcelles de BFM TV.
La jeune et belle Georgette,pas encore 18 ans,jette son dévolu sur le séduisant Henri 20 ans.
La flamme de la Parisienne est déclarée au détour d'un jeu du tapis (en l'échange d'un mouchoir,l'homme devait s'acquitter de quelques pièces).
Touché en plein cœur,mais très vite fauché,Henri propose un rendez-vous le lendemain.
Et Georgette accepte.
Les bases de cette indéboulonnable union naissent alors sur un mensonge honteux.
« À cette époque-là il était absolument impossible que je sorte seule.
Alors j'ai raconté que j'allais me recueillir sur la tombe de ma grand-mère »,confesse 78 ans plus tard,la toujours pétillante Georgette.
Retiré dans les Landes,à Mont-de-Marsan,depuis douze ans,le couple Dupuis raconte à l'envi sa longue et belle traversée amoureuse.
Elle,les yeux bleu vif comme son désir de vibrer encore.
Continuant à donner du « mon poulet » et à réclamer de l'attention.
Lui,toujours prêt à éblouir l'auditoire en narrant des histoires,mais aussi à séduire sa protégée.
Et s'il faut se prêter au jeu du baiser,autant en offrir deux.
La vertu des engueuladesSitôt après le bal,Henri était allé demander la main de Georgette à sa mère.
Fiançailles en juillet 1936 et mariage en août de la même année.
Puis naissance de Jean-Pierre,« neuf mois et dix jours plus tard ».
Henri n'entend presque plus rien et Georgette en profite : « Henri a toujours été un rapide… »
La vie ne sera pas toujours simple.
Pendant la guerre,le couple quittera notamment Paris à pied,en laissant Jean-Pierre.
À la naissance de Jacqueline,quelques mois après la Libération,en 1945,l'hiver est glacial et il n'y a plus rien à manger.
Il faut fuir un temps vers la Belgique.
Pour mieux revenir.
Henri et Georgette travaillent dur,leurs enfants grandissent,se marient,ont des enfants.
Aujourd'hui,il y a trois arrière arrière-petits-enfants,et donc cinq générations.
Et tous s'illuminent face à cette longévité extraordinaire.
L'oreiller,et le reste…La tentation est évidemment forte de rechercher un secret.
« On s'est engueulés pas mal de fois,ose Georgette.
Il faut le faire paraît-il.
Alors on l'a fait et on va le refaire encore… »
N'a-t-elle jamais eu de moment de doute ? « Bien sûr que si.
J'ai même souvent eu envie de faire ma valise.
Mais je ne l'ai jamais fait »,répond sans détour la très en forme « mamie chiffonnette ».
Comment l'explique-t-elle ? « Quand on était jeunes il y avait bien l'oreiller,maintenant vous me regarderiez bizarrement si je vous disais ça.
Je ne saurai pas trop l'expliquer.
On se regarde.
On a besoin de l'autre.
Il faut dire qu'il n'y a jamais eu de longues séparations.
On avait des amis,on sortait et on recevait,mais on a toujours aimé être tous les deux. »
Sondé à son tour sur les raisons d'une telle solidité,Henri répond dans un éclat de rire qu'avant toute autre chose,« il faut avoir beaucoup de patience ».
Celui qui fêtera ses 99 ans en novembre,trois jours après les 96 ans de son épouse revient à la charge, plus appliqué : « Pourquoi ça dure ? Et l'amour,vous en faites quoi ? »"Pourquoi ça dure ?
Et l'amour,vous en faite quoi ?" Aucun des deux n'a été préservé par la vie. Il y a eu la mort de Jean-Pierre,il y a quatre ans.
Les Montois s'en souviennent comme le président des médaillés militaires ou de l'apnée du sommeil.
Un décès douloureux,mais aussi des problèmes de santé.
Triple pontage pour lui.
Ablation d'un sein doublée d'un cancer de la peau,d'une opération de la cataracte et d'un maudit AVC pour elle.
Bilan : impossible de sortir de la maison depuis un an.
Deux têtes qui rivalisent de vitalité,mais un terrible sentiment de décliner sans rien pouvoir y changer.
Noces d'ébèneIl y a quelques années,portés par ce lien si fort,si vrai,ces amoureux de voyages confient avoir pensé à un aller sans retour,ensemble,pour éviter « le pire »,« vivre l'un sans l'autre ».
« On y avait réfléchi et on s'était dit que ça allait ennuyer les enfants »,rapporte Georgette.
« Mais nous ne l'aurions sans doute jamais fait,coupe-t-elle très rapidement.
Nous,on aimerait continuer comme ça,on aimerait que ça dure encore. »
Forcément impressionné par ce miracle de la vie qui permet à ces deux « tourtereaux » de profiter de leurs noces d'ébène,on ne résiste pas au désir d'aller un peu plus loin,en demandant si,en amour,leur expérience conseille de cultiver un jardin secret ou plutôt de tout partager ? « Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas dire.
On peut même mentir un petit peu parfois »,répond Georgette avec autant de malice que d'assurance.
Heureusement qu'Henri n'entend pas ça.
Ce grand lecteur du « Canard Enchaîné » et premier rival de Georgette aux mots fléchés serait cap de surenchérir.
Pour lui,comme pour elle,la clé du mystère c'est avant tout de « faire un mariage d'amour ».
Tout simplement.
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