"J'avais une barbe magnifique, frisée, fournie qui s'épanouissait en double panache", raconte Clémentine Delait, la femme à barbe de Thaon-les-Vosges, dans ses mémoires retrouvées récemment par un collectionneur vosgien.
Consigné à l'encre violette dans un cahier d'écolier et agrémenté de spectaculaires photos et coupures de presse de l'époque, le texte a été découvert dans un vide grenier "pour pas cher" par Roland Marchal, 79 ans, un collectionneur-brocanteur de Bellefontaine (Vosges).
"Comment ma barbe m'a poussé, je l'ignore ? Mais je peux vous assurer qu'à 18 ans, ma lèvre supérieure s'agrémentait déjà d'un duvet prometteur qui soulignait agréablement mon teint de brune", raconte Clémentine dans un style truculent et sans complexe.
Née en 1865 dans les Vosges, cette femme qui vécut jusqu'en 1939, fut un personnage à la renommée régionale voire internationale grâce à sa prolifique barbe brune.
Comme c'était courant à l'époque lorsqu'on maniait mal l'écriture, elle a confié dans les années 30 à un chroniqueur local et collaborateur du quotidien vosgien La Liberté de L'Est, Pol Ramber, le soin de coucher ses confidences sur papier.
Le précieux document d'une cinquantaine de pages, que Roland Marchal n'a pas fait authentifier, est toutefois signé de sa main.
"Son frère aussi était très barbu", souligne le collectionneur, plein d'admiration pour "la force de caractère terrible" de Clémentine.
Elle ouvre un café-boulangerie à Thaon-les-Vosges et se rase consciencieusement la barbe jusqu'au jour où elle fait le pari avec un client de la laisser pousser.
"Le succès fut immédiat. (...) Ils se sont montrés fous de moi", s'exclame-t-elle alors qu'elle rebaptise son bistrot "le Café de la femme à barbe".
La maîtresse-femme de "90 kilos à 30 ans et presque 100 à 40 ans" va même rendre visite à une autre femme à barbe qui s'expose à la foire de Nancy, mais dont elle ne trouve guère la pilosité convaincante.
"Un phénomène mal léché, ni homme, ni femme qui n'a pas même pas l'excuse d'être Auvergnat", écrit-elle.
Elle repart néanmoins de la visite avec une recette de pommade encourageante.
Sollicitée pour s'exhiber jusqu'en Amérique, Clémentine décline ces offres pour rester auprès de son mari Malade, avec qui elle a adopté une fillette.
"Elle n'a pas cédé aux pressions pour entrer dans un cirque", affirme M. Marchal.
"Il ne me vint pas à l'idée que je ne pouvais être qu'une femme curieuse exhibée.
J'étais beaucoup plus et mieux que cela", affirme la femme à barbe.
Toutefois après la mort de son mari, elle va accepter pendant quatre ans des tournées à Londres, en Irlande, à la foire du Trône à Paris, où elle voyage avec "son enfant-chérie".
A Epinal, elle se fait photographier dans la cage aux fauves d'un cirque.
Il n'est pas difficile de trouver encore aujourd'hui des cartes postales de la femme à barbe éditées à l'époque, assure un antiquaire de Thaon-les-Vosges.
"Ma vie modeste a été sans reproches.
J'ai l'estime de tous mes compatriotes", assure encore cette femme de caractère avant de demander que soit écrit sur sa tombe "Ici gît, Clémentine Delait, la femme à barbe".
qui ais Clementine DELAIT (1865-1939) Madame Delait, au miroir.
Peut-être la photo que vous préférerez vous aussi. Admirez la pose, classique, destinée à nous faire habilement voir le profil en même temps que le visage de face.
Admirez la coiffure, l'épingle à cheveux.
Le jeu avec l'éventail pudique, qui ne cache que sous un angle la petite statuette, dont le dos et les fesses nues nous renvoient à notre curiosité troublée.
Admirez la chaîne, l'embonpoint, les doigts boudinés.
le café de la femme à barbe à Thaon
Clémentine Clatteaux est née le 5 mars 1865 au lieu-dit l'abbaye de Chamousey, près de Charmes, en Lorraine. Elle a épousé Monsieur Delait en 1885.
Il est mort en 1928. En 1919, ils avaient adopté une petite fille de cinq ans, dont les parents venaient de mourir de la grippe espagnole.
Elle a tenu un café-boulangerie, à Taon-les-Vosges. Monsieur Delait était boulanger.
auguste, battue par sa soeur, d'un poil.
Clémentine avait un frère, Auguste, barbu lui aussi, mais elle estimait que sa barbe à elle était plus belle que celle de son frère.
Madame Delait, à partir du jour où elle laissa pousser sa barbe (à la suite d'un pari) fut très fière et sans complexe à ce sujet.
Pendant quatre années seulement, après la mort de son mari, elle acepta de se donner en spectacle ailleurs que dans son village.
Elle voyagea grâce à cela en Angleterre, vint signer des photos à Paris au Luna-Park et assista à l'hippodrome de Vichy à un Grand Prix de la Femme à Barbe, organisé en son honneur.
En 1904, il fallut une autorisation ministérielle exceptionnelle pour autoriser Madame Delait à porter des vêtements masculins.
Mais pour pratiquer son sport favori, la bicyclette, madame Delait préférait souvent rester en jupe.
De nombreuses cartes postales ont été éditées sous cet intitulé : "Madame Delait, membre du Cycle Thaonnais"
En 1903, Madame Delait, qui n'avait peur de rien, avait accepté d'entrer dans la cage aux fauves et le dresseur lui fut très reconnaissant de la publicité ainsi faite à ses animaux.