Depuis la mise en service, le 19 juillet 1900, de la première ligne de métropolitain joignant Porte de Vincennes à Porte Maillot, diverses difficultés avaient affecté le fonctionnement de ce nouveau mode de transports en commun.
Le 10 août 1903, vers 19 heures, un peu plus de quatre mois après l'ouverture complète de la ligne 2 (Porte Dauphine – Nation), le train 43, composé de huit voitures en bois, dont deux motrices, l'une en tête et l'autre en queue, se dirige vers Nation.
Après être sorti du tunnel pour aborder la partie aérienne de la ligne, il s'arrête à la station Barbès, et son conducteur remarque que de la fumée émane du plancher de la motrice avant.
Soulevant une trappe d'accès aux moteurs, il constate que le dispositif de prise de courant sur le rail (électriseur dans le jargon du métro de l'époque) est en feu.
Les employés du train et de la station font alors descendre les voyageurs.
Afin de ne pas bloquer les convois qui suivent, le conducteur repart à vide après avoir jeté sur le commencement d'incendie une grenade extinctrice.
Cependant, après avoir passé sans arrêt les stations La Chapelle et Aubervilliers, le train, sur lequel le feu continue à se développer malgré de nouvelles tentatives d'extinction, s'arrête à la station Allemagne6, où son conducteur craignant de rester en détresse demande qu'il soit poussé par le train suivant.
En attendant, après avoir pris place dans la motrice de queue, il laisse descendre sa rame dans le tunnel jusqu'à Combat, où arrive quelques instants plus tard le train 52, composé de six voitures, dont on a fait descendre les voyageurs à Allemagne.
Rassemblées en un seul train, les quatorze voitures repartent, occupées seulement par leur personnel (conducteurs, chefs de trains et contrôleurs).
Toutefois, alors même qu'il existe juste après la station Combat une voie de garage utilisable, elles sont aiguillées sur la voie directe vers Nation.
Les versions divergent sur ce choix.
Selon la Compagnie, c'est le conducteur du 43 qui a refusé le garage.
Selon celui-ci, il l'avait au contraire demandé, mais l'aiguillage n'a pas fonctionné.
Le convoi franchit ainsi les stations Belleville et Couronnes pendant que l'incendie gagne progressivement du terrain sur les voitures de tête.
Au passage à la station Couronnes, M. Didier, le chef de gare, impressionné par les flammes, a bien tenté de le faire arrêter, mais M. Fleuret, le conducteur de la rame 52, lui a crié qu'il pense être en mesure de poursuivre sa marche.
Toutefois, très peu de temps après, un violent court-circuit provoque une série d'explosions et l'arrêt puis l'embrasement général de la rame, juste avant son entrée dans la station Ménilmontant, où sur les deux quais attendent de nombreux voyageurs, dont certains seront pris au piège des flammes et de la fumée.
Pendant ces événements, survenus à une heure de pointe, le trafic de la ligne n'a pas été interrompu, et le train numéro 48 suit dans le même sens.
Il n'est composé que de quatre voitures, mais est bondé, compte tenu de l'afflux des voyageurs laissés à Barbès par le 43 et à Allemagne par le 52.
Arrivé à la station Couronnes, il ne peut repartir puisque le signal reste à l'arrêt.
Les feux arrière de la rame précédente sont d'ailleurs visibles dans le tunnel, indiquant qu'elle n'a toujours pas quitté Ménilmontant.
Au bout d'une dizaine de minutes, ils s'éteignent soudain, et le bruit d'une explosion se propage dans le tunnel, alors que le chef de train du 52 et un de ses collègues, arrivés à pied par les voies, annoncent que les deux rames brûlent.
Presque simultanément, une colonne d'épaisse fumée noire en provenance du sinistre commence à envahir l'ensemble du souterrain.
Le chef de station et le chef du train 48, conscients de l'imminence et de la gravité du danger, demandent alors aux voyageurs de quitter la rame et d'évacuer les lieux.
Seuls quelques-uns d'entre eux le font rapidement et en bon ordre.
D'autres préfèrent rester dans les voitures en attendant une hypothétique reprise du trafic, d'autres encore exigent le remboursement préalable de leur billet, certains allant jusqu'à molester le personnel
À ces brefs instants de confusion succède vite la panique lorsque, vers 19 heures 30, l'éclairage électrique est brutalement interrompu, et qu'il s'avère que les lanternes, bougies et autres allumettes utilisables comme substitut ne parviennent pas à percer l'épaisse obscurité créée par la fumée et s'éteignent très vite faute d'oxygène.
Les personnes encore présentes sur les quais et dans le train s'efforcent alors à tâtons et dans une bousculade indescriptible d'échapper au nuage délétère.
Les unes se dirigent vers les escaliers de l'unique sortie située côté Ménilmontant et, bien que parfois sévèrement intoxiquées, seront généralement sauves
. Les autres, par méconnaissance des lieux ou désorientées dans les ténèbres, gagnent l'extrémité nord de la station, dépourvue d'issue autre que le tunnel vers Belleville.
La plupart d'entre elles s'agglutineront au bout du quai contre les parois de céramique avec l'espoir d'y trouver une hypothétique sortie, et s'écrouleront, asphyxiées.
Quelques-unes réussiront à descendre sur les voies et parviendront à s'enfuir jusqu'à Belleville, mais certaines seront rattrapées et tuées par les vapeurs nocives.
Les premiers secours (Journal l'Illustration du 23 août 1903)
Le bilanLes stations Ménilmontant et Couronnes, transformées durant toute la nuit en fournaises à l'atmosphère irrespirable par l'incendie des deux rames et le courant d'air engendré dans le tunnel, malgré les efforts des pompiers de Paris, n'ont pu être accessibles au prix de nombreuses difficultés qu'aux premières heures de la matinée.
Dans la première, on a pu dénombrer sept morts, la plupart carbonisés ; dans la seconde et à ses abords, soixante-dix-sept, tous asphyxiés.
L'accident a également fait des blessés, dont les conducteurs des deux rames incendiées, sérieusement brûlés, et des dizaines de personnes intoxiquées par l'inhalation des fumées empoisonnées.
Enseignements tirés de l'accidentLe préfet de la Seine, à qui incombait la surveillance de l'exécution de la concession, étant absent le jour de l'accident, c'est un conseiller général du département, Félix Roussel, qui en son nom avait immédiatement suscité la création d'une commission technique d'enquête.
Celle-ci rendit en décembre 1903 un rapport préconisant un grand nombre de modifications relevant essentiellement de la société concessionnaire23.
Deux déficiences avaient été plus particulièrement dénoncées.
La première était la vulnérabilité au feu du matériel roulant, du type dit M1, construit presque entièrement en bois, avec câbles et appareillage électrique sous le plancher des voitures, créant des risques d'autant plus grands en cas de court-circuit que la gutta-percha utilisée à l'époque comme isolant était hautement inflammable.
La catastrophe imposait donc la modification urgente des rames.
Celles-ci furent d'abord dotées de cabines de conduite métalliques24 puis entièrement métallisées à partir de 1906, changements préludant à la conception puis la mise en service des modernes rames Sprague-Thomson deux ans plus tard.
Le second défaut mis en évidence par la catastrophe tenait au circuit électrique unique alimentant à la fois la traction et l'éclairage, qui avait provoqué une coupure générale du courant lors de l'incendie. Il fut donc décidé de créer deux réseaux séparés, découpés en sections pour limiter l'impact des avaries.
Les éléments de traction furent protégés par des fusibles.
Des blocs lumineux de secours à alimentation autonome marqués « Sortie » furent installés aux endroits cruciaux, et l'éclairage des tunnels fut rendu obligatoire.