La mort de SennaAprès avoir vainement tenté de rejoindre Williams-Renault fin 1992 (Prost qui venait de signer dans cette écurie opposa son veto à la venue de Senna, lequel menaça de rejoindre les compétitions américaines avant de finalement disputer une ultime saison pour le compte de McLaren), Senna rejoignit l'écurie anglo-française fin 1993, Prost ayant pris sa retraite.
Présenté comme le grand favori du championnat 1994, l'histoire tourna pourtant au drame.
Au volant d'une voiture plus rétive que prévu, Senna dut subir la loi de Michael Schumacher à l'occasion des deux premières courses de la saison où il signa à chaque fois la pole position.
La Williams-Renault FW16, privée des assistances électroniques au pilotage (suspensions actives, anti-patinage, etc.) interdites depuis la fin de la saison précédente, exploitait mal la puissance de son moteur.
Le troisième Grand Prix de la saison, le Grand Prix de Saint-Marin, disputé sur le tracé d'Imola en Italie les, 29, 30 avril et 1er mai 1994, tourna au cauchemar.
Le vendredi, premier avertissement avec une violente cabriole du jeune Rubens Barrichello (Jordan) qui s'en tira blessé.
Le samedi, lors des essais qualificatifs, où Senna signa sa 65e et dernière pole-position, le pilote autrichien Roland Ratzenberger fut victime d'un accident mortel au volant de sa Simtek-Ford, juste après avoir perdu un aileron, dans le virage de Tosa.
Senna voulut se rendre sur les lieux du crash mais il s'en trouva empêché.
Il fut profondément affecté par ce drame, et ressentit un mauvais pressentiment.
Roland Ratzenberger fut très certainement tué sur le coup, mais sa mort ne fut prononcée que lors de son transfert hors du circuit.
Or, si elle avait effectivement été constatée sur place, la piste d'Imola aurait été placée sous scellés à des fins d'inspection et d'enquête, comme le veut la justice italienne, ce qui aurait automatiquement entraîné le report du Grand Prix.
La course eut donc lieu.
Le dimanche 1er mai, au départ, un accident se produisit dès le feu vert, la Lotus du Portugais Pedro Lamy percutant la Benetton du Finlandais JJ.Lehto sur la grille, des débris s'envolant par dessus les tribunes, touchant des spectateurs et un policier.
Course neutralisée d'entrée, la voiture de sécurité emmena donc la meute des F1 au ralenti durant cinq tours, et s'écarta.
À peine lancé à pleine vitesse, en tête dans cette sixième boucle, talonné par la Benetton de Michael Schumacher, Ayrton Senna perdit le contrôle de sa monoplace qui partit tout droit dans la courbe ultra-rapide de Tamburello avant d'aller percuter un mur de béton avec une rare violence (210km/h lors de l'impact), à 14h18.
Alors que Senna recevait des soins d'urgence à même la piste, avant d'être héliporté vers l'hôpital Maggiore de Bologne, ce funeste Grand Prix alla à son terme après une interruption d'une vingtaine de minutes, non sans qu'un nouveau drame se produise dans les stands : à 11 tours de la fin, la Minardi de Michele Alboreto perdit une roue qui allait blesser plusieurs mécaniciens dans sa course folle.
De fausses rumeurs circulaient autour du circuit indiquant que Senna était sauf, mais il n'y avait aucun moyen de le soigner compte tenu de la gravité de ses blessures et de sa « mort cérébrale » constatée dès son arrivée à l'hôpital.
Son décès fut officiellement prononcé peu après 18h30. La cause directe de la mort du pilote brésilien résulte d'une circonstance malheureuse.
En effet, sous la violence du choc, le triangle supérieur de la suspension avant de sa F1 s'est brisé et est allé frapper, tel un sabre, la visière de son casque.
Selon l'autopsie, cette pièce aurait perforé le visage de Senna sous l'arcade sourcilière droite provoquant ainsi des lésions irréversibles au cerveau et une forte hémorragie.
Les raisons de l'accident d'Ayrton Senna n'ont jamais été officiellement élucidées. Mais tout porte à croire qu'il a été provoqué par la rupture de la colonne de direction de sa monoplace.
Senna avait lui-même exigé quelques jours avant le drame que cette colonne soit reconçue de manière à améliorer son confort de pilotage.
La modification ayant été réalisée dans l'urgence, une mauvaise soudure aurait donc été la cause de la rupture de la colonne de direction sollicitée à pleine vitesse dans Tamburello.
Cela valut aux principaux responsables de l'écurie Williams (Frank Williams le propriétaire de l'écurie, Patrick Head, le copropriétaire et directeur technique de l'écurie, et Adrian Newey, le concepteur de la voiture) d'être traduits devant la justice italienne.
Mais à l'issue d'une longue procédure de près de dix années, la justice prononça l'acquittement des divers intéressés.
Casque d'Ayrton Senna
D'autres hypothèses ont été avancées, parfois farfelues (un malaise de Senna, qui avait l'habitude de piloter en apnée sur de longues portions), parfois plus intéressantes, comme celle qui évoque une chute de la pression des pneumatiques (due à un possible passage sur un débris présent sur la piste, où tout simplement en raison de la baisse de rythme consécutive aux nombreux tours couverts sous safety-car juste avant le drame).
La baisse de pression des pneus aurait alors entraîné une diminution de la garde au sol de la voiture.
Cette dernière, au passage d'une bosse, aurait talonné (le fond-plat de la voiture venant directement au contact de la piste, la voiture privée de l'adhérence générée par l'effet de sol, se serait transformée en luge, et devenue incontrôlable), expédiant Senna hors-piste.
Seul son co-équipier de l'époque, Damon Hill, a osé évoquer une possible faute de la part de Senna.
Il ne s'agirait pas d'une faute de pilotage mais d'une trop grande prise de risque.
En effet, durant les essais, Senna aurait conseillé à Hill de ne pas trop passer à l'intérieur de la trajectoire de la courbe du Tamburello du fait des nombreuses bosses. Leurs Williams ayant une garde au sol et un débattement de suspension assez faible, elles les supportaient mal. Pourtant pendant la course, Senna prit l'intérieur de cette courbe.
Cela peut s'expliquer par le contexte : Senna avait déjà 20 points de retard sur Schumacher au championnat, et selon Alain Prost, il soupçonnait la Benetton de l'allemand d'avoir un anti-patinage illégal.
Senna aurait donc pris un risque avec sa Williams mal née pour essayer de creuser l'écart sur Schumacher.
De là sa voiture aurait talonné en « effet surf » (comme décrit plus haut) et l'aurait projeté dans le mur.
Le matin de ce grand prix fatal, Senna, réconcilié avec Prost, lequel avait rejoint les commentateurs sportifs pour la chaîne de télévision TF1, lui avait adressé un message amical en direct alors qu'il effectuait un tour de circuit commenté : « Before the beginning, a special hello to my... our dear friend Alain. We all miss you Alain ! » [Avant de commencer (le tour, ndlr), un bonjour spécial à mon... à notre ami Alain. Tu nous manques à tous, Alain!]
La tombe d'Ayrton Senna au cimetière de Morumbi à Sao Paulo.
Senna depuis 1994Issu d'un milieu aisé, lui-même rapidement multimillionnaire, Senna n'en était pas moins préoccupé par les graves difficultés économiques et sociales de son pays. Finançant pendant plusieurs années des œuvres caritatives, Senna avait commencé à la fin de sa vie à réfléchir à un projet de plus grande envergure visant à aider les enfants les plus démunis.
Senna disparu, c'est sa sœur Viviane Senna Lalli qui a concrétisé les projets du pilote brésilien, en mettant sur pied la Fondation Ayrton Senna, un organisme qui met en place des projets éducatifs pour les enfants les plus démunis, notamment par la pratique régulière du sport l'après midi après avoir été en classe le matin.
Selon Viviane, il s'agit non seulement d'apprendre aux enfants à respecter des règles et le fair-play, mais aussi de les "fatiguer" pour qu'ils aillent se coucher tôt le soir et éviter qu'ils traînent dans les rues peu sûres des favelas.
Senna a décroché la première place des meilleurs pilotes de F1 de tous les temps lors d'un vote mis en place en 2005 par le plus important magazine automobile brésilien, ainsi que la principale chaîne de télévision brésilienne.
Les votants regroupaient de grands chroniqueurs sportifs de la Formule 1, ainsi que des pilotes de renom comme Alain Prost, Nelson Piquet, Michael Schumacher, Jean Alesi, Jackie Stewart ou encore Stirling Moss et Niki Lauda.
Famille et vie privéeAyrton Senna était l'un des trois enfants de Milton da Silva (un riche propriétaire terrien) et de Neide Senna. Ayrton avait une sœur ainée (Viviane) et un frère cadet (Leonardo).
Brièvement marié au tout début de sa carrière, Ayrton a eu par la suite plusieurs "fiancées" plus ou moins médiatisées.
La plus connue est Adriane Galisteu, un mannequin brésilien qui était sa compagne au moment de son accident, et qui s'est par la suite attirée les foudres de la famille Senna en monnayant sa célébrité dans des magazines de charme.
N'ayant jamais eu d'enfant, Ayrton Senna était très proche de son neveu Bruno, le fils de sa sœur Viviane. Devenu pilote à son tour, Bruno Senna dispute en 2007 le championnat de GP2 Series.
Ses caractères et sa croyance La fascination provoquée par Ayrton Senna ne tient pas qu'à ses remarquables qualités de pilote, mais également à sa personnalité complexe, ambivalente.
Senna était tout d'abord connu pour sa grande agressivité en piste.
Une agressivité dans le bon sens du terme qui faisait de lui un compétiteur redoutable, ne reculant pas face au danger (notamment sous la pluie) et d'une grande habilité dans les dépassements.
Mais une agressivité parfois au-delà de la sportivité, qui pouvait l'amener à provoquer volontairement un accident au mépris des risques encourus, comme au départ du GP du Japon 1990.
Cette détermination de Senna s'exprimait également hors-piste, où il exigeait le maximum de son équipe.
Certains ingénieurs se souviennent que leur hantise était de croiser Senna le soir dans les couloirs de l'hôtel, de peur de se retrouver embarqué dans un débriefing technique impromptu par le perfectionniste pilote brésilien.
Ayrton Senna en 1989.Mais l'implacable compétiteur risque-tout et en apparence insensible au danger se doublait paradoxalement d'un homme très concerné par les problèmes de sécurité sur les circuits, et d'une grande sensibilité.
Arrivé en Formule 1 à une époque où la mort était moins omniprésente que par le passé, Senna s'était montré très affecté par les circonstances de l'accident mortel de son ancien coéquipier Elio de Angelis lors d'essais privés sur le circuit du Castellet en 1986.
Peu avant le drame, Senna avait noté l'insuffisance des secours en bord de piste, et s'apprêtait à le signaler à la direction du circuit, avant que ses propres problèmes techniques ne lui fassent oublier sa bonne résolution.
Par la suite, Senna n'aura de cesse d'être systématiquement le premier pilote (le seul?) sur les lieux des graves accidents, dans un souci permanent d'en comprendre les raisons, mais également pour tenter d'apporter son soutien au pilote accidenté.
Il en est allé de la sorte lors de l'accident de Martin Donnelly aux essais du GP d'Espagne 1990, mais également lors de celui de Roland Ratzenberger, la veille de sa propre mort. Son attitude lors de l'accident d'Erik Comas aux essais du GP de Belgique 1992 est également restée dans les mémoires.
Le pilote brésilien n'avait en effet pas hésité à traverser la piste (sur laquelle déboulaient à pleine vitesse d'autres concurrents) pour éteindre le moteur de la Ligier accidentée de Comas, inconscient, et éviter un incendie. "Senna m'a probablement sauvé la vie" dira plus tard Comas.
Quelques heures avant sa mort, Senna s'apprêtait à relancer la défunte association des pilotes de Grand Prix, afin que lui et ses collègues puissent peser sur les décisions en matière de sécurité.
La sensibilité de Senna s'exprimait également dans l'évocation de sa foi.
Très croyant, Senna est ainsi l'un des rares pilotes à avoir longuement et publiquement parlé de son rapport à Dieu, un aspect de leur vie que les pilotes préfèrent généralement garder pour eux.
Mais ses propos furent déformés et tournés en dérision par certains de ses adversaires, lesquels laissaient entendre que Senna pilotait en se croyant protégé par Dieu, ce qui le rendait dangereux.