Charles Terront gagne le 9 septembre 1891 la course Paris- Brest-Paris.
A l'arrivée, après 1 200 km, huit heures le séparent du favori, Gilles Laval et une journée sur le troisième!
Ici, la cause semble entendue: la bicyclette du vainqueur est équipée du pneu " Démontable " Michelin créé la même année quand les concurrents roulent - encore! -avec des bandages pleins.
La Manufacture, fondée deux ans auparavant , vient de prouver la supériorité de son produit sur le terrain le plus exigeant : celui de la compétition.
Quinze minutes sont alors nécessaires pour réparer le "Démon- table " : la chambre à air et l'enveloppe sont maintenues à la jante par dix-sept boulons!
Et Michelin de se singulariser -déjà! -par l'obsession du service apporté au client: l'année suivante, les boulons sont remplacés par deux clips et le temps de réparation est réduit à trois minutes.
La preuve ? Par la compétition! Pour tester leur invention, les frères André et Edouard organisent leur propre course, en 1892, entre Paris et Clermont-Ferrand et proposent d'équiper les vingt concurrents de leur pneu " démontable
" Ils vont même jusqu'à semer sur le par cours des... clous! Vainqueur: Henri Farman, futur héros dans l'aviation. L'esprit Michelin se dessine: équiper de pneus tout ce qui roule aujourd'hui et roulera demain. Ce que résume le slogan d'aujourd'hui : "
le génie de l'innovation au service de l'homme et de sa mobilité ".
Le pneumatique boit l'obstacleAprès les cycles, les fiacres. 6000 " salons roulants" parisiens, ainsi, surnommés parce que les passagers peuvent parler à l'intérieur sans être dérangés par le bruit des roues sur les pavés, sont équipés dei pneus Michelin en 1903.
Mais la grande aventure de la Manufacture est ailleurs qui entend prouver que la "voiture sans cheval" peut rouler sur de l'air!
Un véritable défi au regard de la taille du marché: on dénombre en 1900, six mille cinq cents propriétaires et six cent dix- neuf constructeurs.
Comment les convaincre ?Par la compétition, bien entendu! André Michelin n'a-t-il pas déclaré, en 1893, lors d'une conférence à la Société des ingénieurs civils que" le pneumatique boit l'obstacle" ?
En 1895, le marquis de Dion lui en offre un avec la course Paris-Bordeaux.
Michelin construit trois véhicules avec un châssis Peugeot et un moteur de bateau Daimler : l'Hirondelle, l'Araignée et l'Eclair.
Les deux premiers ayant eu des problèmes techniques en rejoignant Paris, seul l'Eclair, ainsi baptisé parce que la direction mal ajustée le faisait rouler en zig-zag, participe à la course.
"Qu'une voiture puisse rouler sur de l'air paraissait incroyable à l'époque et l'on pouvait lire dans les journaux que le public crevait en cachette les pneus pour vérifier si ce n'était pas une supercherie", raconte Isabelle Sauret, responsable du Musée Michelin.
Autre pari, celui- ci commercial, mais également audacieux: la Manufacture met en vente ses premiers pneus automobiles en février 1896 et, pour réussir le lancement, achète la production totale, pendant une durée de six mois, de deux constructeurs, Albert de Dion et Léon Bollée!
Et quelle meilleure preuve apporter aux automobilistes que de payer de sa personne!
Aussi André Michelin est-il des nombreuses compétitions et c'est au cours de l'une d'entre-elles que, pilote sur Panhard-Levassor, il est ainsi apostrophé par un concurrent, Léon Théry : " Tiens, voilà Bibendum ".
Le gérondif latin, devenu nom, sera promis à une belle carrière pour devenir le personnage publicitaire le plus célèbre au monde.
Quand naît le stand" Aller toujours plus loin, favoriser la mobilité, offrir une meilleure tenue de route et un meilleur confort, tels sont depuis ses débuts les objectifs de Michelin ", résume Pierre Dupasquier.
Et c'est de nouveau grâce à la compétition que la Manufacture teste, en 1905, son nouveau pneu" Semelle ".
Une nappe croisée de coton et de caoutchouc naturel revêtue d'une nappe de cuir et munie de rivets d'acier collés lors de la vulcanisation peut convenir pour les particuliers mais glisse en compétition.
Le "slick" (pneu lisse) est alors jugé plus efficace .
Une observation faite au cours de la dernière Gordon Benett - course organisée depuis 1900 par James Gordon Benett, fils du fondateur du New York Herald -qui se tient sur le circuit d'Auvergne en 1905.
Les frères Michelin vont également se singulariser en créant l'ancêtre du stand automobile.
A l'époque, quand le pneu crève, on ne peut pas dissocier la roue du véhicule et la réparation doit donc se faire sur le véhicule.
André et Edouard Michelin ont alors l'idée de bétonner des emplacements à différents endroits du circuit et de dédier à chaque emplacement, quatre équipes de trois personnes", explique Isabelle Sauret.
Mais une polémique va naître dans la presse: les équipes d'assistance ont grandement aidé Léon Thery, vainqueur de la course sur pneus... Michelin.
Elles seront donc interdites l'année suivante par l'Automobile Club de France: seuls le pilote et le mécanicien peuvent intervenir sur le véhicule.
Et puisqu'on ne peut plus apporter d'assistance humaine au pilote, il lui faut une assistance technique.
La jante amovible, ancêtre de la roue de secours, baptisée La Jante Miracle est inaugurée en 1906 sur le circuit de la Sarthe (futur circuit du Mans).
Il ne fallait plus que trois minutes pour changer un pneu au lieu d'un quart d'heure.
Sur les huit concurrents équipés par Michelin, sept seront parmi les... sept premiers du grand prix de l'Automobile Club de France. Vainqueur: Renault.
C'est à cette époque qu'apparaissent les outils pour démonter le pneu dont la célèbre manivelle inventée par un ingénieur de la Manufacture.
Autant d'événements que les annonces publicitaires signées O'Galop vantent face à une concurrence qui a pour nom Dunlop et Continental.
Elle se décline également à l'international depuis que Michelin est présent en Italie et en Angleterre (1905) et aux Etats-Unis (1907).
Visionnaires, les frères Michelin n'ont pas les yeux rivés au sol.
La compétition peut aussi avoir pour terrain d'expérience le ciel! Ils créent, en 1908, le grand prix du Puy-de-Dôme dont le défi consistait à rejoindre son sommet, depuis Paris, en six heures maximum.
Récompense: 100 000 francs-or (soit l'équivalent de trois millions de francs 1999) .
Retour sur terre, la même année, avec le pneu jumelé (une deuxième jante, à l'origine des roues jumelées pour camion), puis la roue acier démontable ancêtre en 1913 de la roue de secours .
Davantage de ConfortSculpture ou pas sculpture ? Un temps hostile, -" Vous semez votre argent sur la route ", prévient une réclame Michelin, alors dirigée contre son concurrent Dunlop -la Manufacture lance en 1917, de son usine américaine; le pneu à sculpture " Roulement Universel" .
" il tranche par rapport aux pneus précédents par sa couleur -noire - due à l'utilisation du "noir de carbone, introduit par Goodrich en 1910, qui augmente la résistance à l'abrasion donc à l'usure ", explique Isabelle Sauret.
Et Michelin de mettre plus que jamais l'accent sur la recherche.
C'est, en 1919, la sortie du Câblé que la réclame vante ainsi: " le progrès le plus considérable réalisé jusqu'à ce jour dans la fabrication du pneumatique...plus souple et plus gros, boit mieux l'obstacle et diminue la résistance au roulement".
La Manufacture compte alors 12 000 salariés mais aussi de nouveaux concurrents comme Goodrich et Firestone. Aussi renoue-telle avec la compétition en 1923 lors du lancement d'un pneu , révolutionnaire: le Confort, pneu à. basse pression.
Cette année-là, Michelin gagne l'épreuve d'endurance aux Vingt-Quatre Heures du Mans avec la Chenard et Walcker.
Le pneu muni d'un insert rigide fait son apparition en 1929 avec la Micheline .
Mais la crise économique n'épargne pas la société qui voit ses effectifs chuter de 16 554 personnes en 1929 à 8085 en 1935.
Décédé en avril 1931, André Michelin ne verra pas les Citroen équipées de ses pneus, triompher lors de la Croisière jaune.
Entré dans le capital de la firme automobile en 1930, Michelin ferme la même année son usine américaine (pour revenir industriellement dans les années 70), ouvre en 1931 une usine à Karlsruhe en Allemagne et en 1933 en Espagne.
Sur le plan des innovations, Michelin lance le Super Confort (pour les poids lourds), les gonfleurs en 1932, le pneu à lamelles (Super confort Stop) pour prévenir le dérapage, en 1934.
L'année 1937 est marquée par de nouveaux pneus révolutionnaires: le Pilote, pneu sur une jante rigide dans les virages et allégé de 1,5 kg car les disques 4 l'intérieur ne sont plus pleins et le Metalic, premier pneu à carcasse d'acier, réservé aux poids lourds.