Quand un poulain se fait logo350 000 chromos par jour, soit 127 750000 images par an pour la seule année 1900 ! Un exploit qui mériterait de figurer dans le livre des records. Reste que l'image a trouvé de nouveaux supports: l'affiche vers 1890, et surtout, au début du siècle, la photographie, les plaques émaillées et le cinéma qui vont rendre les chromos caduques. Au nombre des célèbres affichistes, l'incontournable Firmin Bouisset qui dessine pour Poulain un petit écolier assis sur un tabouret en 1896 et Pierrot en 1898. Ces deux enfants ne sont qu'une seule et même personne : Jacques, le fils de l'affichiste. Avec Léonetto Cappiello, le célèbre " petit poulain " apparaît pour la première fois sur une affiche en 1911. " S'il figure depuis 1905, précise Nina Favart, sur les emballages et sur les carnets donnés aux représentants de la marque" " il devient véritablement le symbole de la marque que dans les années 1910. "
Une idée de génie, explique Marc Baraban. Les nouveaux propriétaires de la société, ne souhaitant pas faire la promotion de celui, encore vivant, à qui ils avaient racheté l'entreprise, ont contourné l'obstacle en choisissant comme symbole l'animal ayant le même nom et, de surcroît, l'animal préféré des enfant. Un médiateur fantastique pour populariser le chocolat auprè de sa cible principale ". Et devenir, comme cela est mentionné dans une affiche de Cappiello, " la première marque française vendue dans le monde entier". Question à ce jour sans réponse: si Poulain s'était toujours écrit" Poulin " comme ce fut le cas jusqu'au début du XIXème siècle ?
La question ne se pose pas quand un concours d'écriture est lancé en 1904 : 12 000 candidats doivent alors écrire en anglaise, en ronde et en bâtarde la phrase "Le meilleur chocolat, c'est le chocolat Poulain. Goûtez et comparez", et de répéter cette phrase trois fois sur une feuille de papier spéciale insérée dans une tablette de chocolat.
Le premier prix, 50 000 francs, fut remis par Pigier, président du jury et fondateur de l'école du même nom à Paris.
"Les successeurs de Victor Auguste Poulain furent également des précurseurs en inventant ce qu'on appelle aujourd'hui le marketing de situation et le géomarketing" , ajoute Marc Baraban. Ainsi des " musées scolaires ", ancêtres des kit pédagogiques, introduits à l'école en 1906 : des boîtes contenant tous les ingrédients qui entrent dans la composition du chocolat servaient à l'instituteur pour une " leçon de choses ".
Ce dernier pouvait en 1909 s'aider d'une affiche ou tableau mural Poulain pour expliquer la cueillette du chocolat et sa fabrication. Et les élèves protégeaient leur cahier avec des protèges-cahiers… Poulain.
Autre outil de promotion dont l'utilisation témoigne, pour l'époque d'une audace certaine de la part de Georges Bénard : le cinéma.
Des " billets de faveur ", distribués dans les tablettes de Chocolat Poulain Orange donnaient droit à une entrée à moitié prix.
Avec l'acquisition du premier cinéma en 1907 à Marseille, la société Poulain devient, comme Pathé, un propagandiste du 7ème art ! En 1914, la société comptera 110 salles de cinéma dont un certain nombre dans les pays où elle exporte, comme l'Egypte ou l'Angleterre où l'on peut lire sur les emballages Poulain "Taste and compare" ou "Taste an be convinced".
Des bâtons aux carrésAutant d'innovations commerciales au service d'une politique de créations remarquables sur le plan des produits. " Les successeurs de Victor Auguste Poulain vont révolutionner le marché avec le Pulvérisé et la tablette familiale Noir Extra.
Ces deux produits sont, en 1998, toujours les produits piliers de Poulain.
Le Pulvérisé, baptisé Grand Arôme en 1986, est en 1998 le numéro deux du marché et la tablette Noir Extra, premier chocolat noir consommé en France et troisième référence toute catégorie confondue après Milka et Kinder et devant Nestlé dessert ", résume Marc Baraban. Retour en 1894, quand l 'acquisition d'un brevet pour fabriquer du cacao soluble permet de lancer, en 1896, un " chocolat granulé naturel " pour " déjeuners à la minute, soluble instantanément dans tout liquide bouillant "
. L'offre s'enrichit en 1903 avec le Nectar cacao, poudre compacté présentée sous forme de " briquette " - un paquet de cinq étuis pour une consommation individualisée, déjà ! - et en juin 1908 avec le Pulvérisé Poulain Orange .
Deuxième grande révolution du marché avant la Seconde Guerre mondiale : avec Noir Extra, la tablette de chocolat abandonne la forme des bâtons pour celle des carrés.
Aujourd'hui, Poulain est la seule marque à être présente sur le marché du pulvérisé et celui des tablettes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la famille Bénard continue d'innover sur .le plan commercial.
Partenaire du Tour de France pendant 35 ans pour lequel il est à l'origine de la caravane, Poulain crée aussi le grand prix de la montagne.
La marque est une des premières à réaliser des animations (gagner son poids en chocolat) dans les hypermarchés.
" Alors que beaucoup de ses concurrents étaient distribués par des grossistes-confiseurs, Poulain a fait le choix des grossistes-épiciers puis des grandes surfaces: les volumes ont explosé.
La marque reste toujours dans l'esprit de son fondateur : toucher le plus grand nombre ", rappelle Marc Baraban.
"1848", une nouvelle révolutionLes linéaires des grandes surfaces accueilleront ainsi les innovations de la marque.
Stim, "le super instantané" que l'on peut voir sur les écrans de la télévision en 1969, Lacta noisettes en 1974, Super Rocher en 1979, le chocolat au riz Crocmy en 1981, le chocolat blanc Crocmoi en 1982, Poulain Patissier en 1981, la crème à tartiner Poulina en 1984 (devenue Poulain éclats noisettes en 1997).
Avec Super Poulain, la société lance en 1986 la première poudre vitaminée (vitamines C, B6, B2, B1).
Autant d'innovations qui attestent que la cible prioritaire de la marque reste celle des enfants.
Mais elle laisse la concurrence (Lindt, Côte d'Or, Milka, Nestlé et ses chocolats dégustation en 1986, Kinder) occuper progressivement un territoire qui fut le sien à ses origines : le statut de chocolatier.
Parallèlement, les marques distributeurs envahissent le segment traditionnel de Poulain: le chocolat noir.
"Durant les années 80, il n'y a plus de réelle vision de la marque Poulain qui bénéficie pourtant de la première notoriété du marché et un très bon positionnement prix, Poulain reste associé à son image de petit cheval, à la tablette jaune " , explique Marc Baraban.
Il est vrai que les changements de mains peuvent, en partie, expliquer le manque de vigilance face à l'évolution du marché: vendu au groupe Midial en 1987, Poulain tombe dans l'escarcelle de Cadbury-Schweppes en 1988.
Preuve que les hommes comptent autant que les marques dans la pérennité de ces dernières, la nomination, en 1994, de Marc Baraban au poste de directeur du marketing, apporte l'électrochoc salutaire. La marque entend dorénavant illustrer, par ses innovations, la tradition chocolatière française.
" Notre objectif est de passer du statut de marque populaire à celui de marque chocolatière et offrir dans chaque segment du marché les produits les meilleurs ", explique Marc Baraban.
Quand le département recherche de Poulain s'active, dans l'usine ultra-moderne conçue en 1990 par l'architecte Jean Nouvel, sur de nouveaux goûts (un chocolat noir dégustation, un noir café, un noir menthe, les blocs gourmands), l'agence Dragon Rouge planche sur une nouvelle identité visuelle et sur une nouvelle marque.
" Notre challenge était de donner de Poulain l'image d'une marque non plus pour l'enfant mais pour adulte et conférer à la marque une nouvelle légitimité ", explique Pierre Charrier, directeur de clientèle Dragon Rouge. " Pari relevé grâce à l'implication totale de la marque et la relation exemplaire avec l'agence de design ", ajoute Patrick Veyssière co-président de l'agence.
Comment sortir la marque de son territoire classique ? Réponse donnée par Dragon Rouge: remonter aux origines de la marque.
D'où le choix de "1848" comme nouvelle marque et la signature "Poulain Chocolatier 1848" .
Preuve que l'histoire n'est pas toujours entachée d'une image passéiste: la part de marché de" 1848" bondit de 0% en 1995 à 15% aujourd'hui
Et les consommateurs plébiscitent les innovations : la gamme "1848" fut élue produit de l'année en 1996, les "Blocs Gourmands" , en 1997.
Autre changement majeur de cette revitalisation : le petit poulain ne figure " plus que sur deux produits, le pulvérisé Grand Arôme et, de manière stylisée façon Muppet, sur le Super Poulain.
Et la série des images a été stoppée en 1995.
" Si l'année 1984 fut une année record avec un million d'enfants collectionneurs sur une cible de 8 millions, on n'en comptait plus que 25 000 en 1994.
Les images ont été victimes de la modification du paysage audiovisuel avec, à partir de 1985, le lancement de nouvelles chaînes et la création de programmes TV spécifiques aux enfants ", explique Marc Baraban.
Consommé aujourd'hui par un tiers des foyers français, c'est pour trois millions d'entre eux que Poulain a lancé le 15 février 1998 le magazine " Tentation Chocolats ". Avec beaucoup... d'images !