La justice prud'homale, chargée de trancher les conflits du travail, et qui fête ses 200 ans samedi, est une institution spécifique à la France, compensant son manque de moyens par le dévouement de magistrats non professionnels.
Les 271 conseils de prud'hommes répartis sur le territoire règlent les litiges individuels survenant entre salariés et employeurs, liés au contrat de travail -- congés payés, salaires, primes, licenciement individuel, etc -- et non les litiges collectifs, comme l'exercice du droit de grève.
"Nous avons une mission d'écoute, de pacification, auprès de salariés souvent traumatisés par la fin d'une histoire d'amour de plusieurs années avec une entreprise", explique à l'AFP Gilles Soetemondt, vice-président des prud'hommes de Paris.
Originalité française, la justice prud'homale, instituée en 1806 et généralisée en 1979, est "rendue par des amateurs, et ça marche globalement bien", estime M. Soetemondt.
Car les conseillers prud'hommes ne sont pas des magistrats professionnels: ce sont des salariés ou des chefs d'entreprise en activité.
Les jugements prud'homaux font l'objet d'un nombre d'appels élevé : 56,9% en 2003, contre 12,6% seulement pour les tribunaux de commerce ou 4,6% pour les tribunaux d'instance, selon le ministère de la Justice.
Mais près des deux tiers des décisions sont confirmées en appel, "72%, soit l'un des meilleurs taux de confirmation de toutes les juridictions françaises", ce qui, selon M. Stoetemondt, est le signe d'un bon fonctionnement de ces juridictions.
"Un certain nombre d'appels sont +économiques+, les entreprises les engagent pour retarder le paiement d'indemnités à leurs salariés", rapporte M. Soetemondt.
Les quelque 14.600 conseillers prud'homaux "font un boulot merveilleux", affirme le juriste Jean-Philippe Tricoit, chercheur à l'Institut des sciences du travail de Lille, "il faut beaucoup de volonté et d'abnégation: être conseiller signifie rentrer souvent chez soi avec des piles de dossiers à éplucher le soir...".
Elus tous les cinq ans par leurs pairs, ils sont dédommagés, pour les heures passées à rendre leurs jugements, au prorata de leur salaire et sont indemnisés en dehors des audiences, à 6,02 euros de l'heure, un tarif qui n'a pas été revalorisé au-delà de l'inflation depuis plus de vingt ans.
En outre un conseiller prud'homal reçoit une formation juridique de 36 jours pour la durée d'un mandat, qu'il doit en général compléter par de "l'auto-formation", abonnement à des revues spécialisées en droit social, consultation des textes juridiques.
"Ils apprennent le métier sur le tas", explique M. Tricoit.
Avec une durée moyenne de 10,1 mois pour traiter une affaire, fin 2005 -- contre moins de 5 mois pour les tribunaux d'instance --, certains conseils de prud'hommes, à Paris et Douai notamment, sont menacés d'engorgement et confrontés à des problèmes de moyens.
Toutefois, au-delà de ces cas ponctuels, le nombre des affaires est resté globalement stable, de l'ordre de 167.000 en 2004.
Un rapport commandé par le ministère de la Justice à l'ancien procureur général de Versailles Henri Desclaux il y a un an a dressé des pistes pour améliorer l'efficacité de la justice prud'homale, notamment l'établissement d'une "fourchette de temps moyen" par affaire.
Ces propositions devraient être soumises au Conseil supérieur de la Prud'homie en avril, mais toute retouche de la vénérable institution bicentenaire doit faire l'objet d'une modification du Code du travail.