On attribue à Bécassine toutes les vertus, dont celle de la naïveté décapante, comme l’enfant du conte d’Andersen qui ose dire que le roi est nu. Pourtant, tous les Bretons ne l’ont pas toujours lue avec ces yeux-là…
Bécassine a cent ansBécassine est née il y a cent ans, en février 1905 dans La semaine de Suzette, un excellent journal pour fillettes. Cette petite bonne simplette, arrivée de sa Bretagne natale pour servir chez la marquise de Grand-Air, accumule les bévues et rencontre vite un tel succès… que ses aventures ne verront leur fin dans la revue qu’en 1950.
Quant aux albums, apparus dès 1913, ils continuent toujours à se vendre et à circuler.
Bretonne dans son costume…Bécassine porte un costume breton que nous reconnaissons tous aujourd’hui : robe vert sombre ouverte sur une guimpe blanche et un corselet rouge, vaste jupe, larges manches bordées de velours noir, tablier, coiffe blanche, avec le baluchon classique du paysan sans fortune, ficelé dans un grand mouchoir à carreaux rouges et blancs.
Elle garde le contact avec sa famille bretonne, notamment avec ses jeunes cousins Yann (bien mal élevé) et Dindonnette (une petite sotte illettrée, qui porte le même costume breton que Bécassine et qui trouve une place de bonne d’enfants).
Bretonne dans sa culture… vue de
ParisBécassine offre à un collectionneur de tableaux ("de vieilles croûtes") tous les restes de pain qu’elle a pu trouver, tente d’emprisonner l’air pour "prendre l’air" sur avis médical, parle d’"escargot" pour servir un Margaux… Toutes ces bévues révèlent non seulement son ignorance des manières parisiennes mais aussi du français.
Elle a parlé breton toute son enfance et n’a guère eu le temps d’aller à l’école avant de se placer.
L’orthographe des lettres qu’elle envoie à sa famille le prouve ! Mais rire de son ignorance,
c’est aussi rire de sa culture originelle.
Les Bretons contre Bécassine Si Bécassine mettait les rieurs de son côté, elle n’y a en effet pas toujours mis les Bretons.
Pourquoi ? Parce que ces histoires semblent (au premier degré) enfermer le Breton (en l’occurrence la Bretonne) dans un rôle de domestique ("une région qui placerait ses enfants au service des autres"), gêné par sa culture ("le paysan breton de base ne comprendrait pas grand chose") et simplet ("une tête ronde mais un peu vide"). Une anecdote parlante : dans une famille cultivée des années 1960, vivant à Paris mais d’origine bretonne, Bécassine était interdite de séjour.
Bien entendu, la fillette de la maison réussit un jour à se faire prêter un album en cachette par une amie d’école. Elle se plonge dans la lecture…
Catastrophe : le père arrive ! Il voit le livre, s’en empare sans un mot et le jette dans le feu allumé de la cheminée.
L’enfant, devenue maintenant mère de famille, n’a jamais osé reparler de Bécassine à son père.
C’est sa mère qui, discrètement, fut obligée de racheter le livre pour le rendre à celle qui l’avait prêté…