On tire la grenouille de nuit en Gironde et en Dordogne. C'est la mission, très sérieuse, d'agents de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) assistés d'écologues, pour éradiquer la grenouille taureau, envahisseur vorace qui menace l'écosystème.
"La chasse se pratique la nuit, avec une lampe-torche qui fait briller leurs yeux et permet de les repérer plus facilement. On les tire, les pieds dans la vase, avec un fusil 22 LR. équipé d'une lunette et d'un silencieux", explique Luc Gueugneau, agent technique de l'ONCFS qui a participé à quelques "chasses".
Cette chasse expérimentale, qui se fait avec "un éclaireur et un tireur" vise à éradiquer la grenouille-taureau, une espèce envahissante venue des Etats-Unis, et qui se distingue par son poids -environ 600 grammes-, sa taille, -45 cm les pattes tendues- et son chant grave, qui tient du beuglement bovin.
"C'est un particulier vivant à Vayres (Gironde) qui l'a introduite en 1968 dans sa mare pour rigoler et quelques années après, il y en avait dans tous les étangs", raconte l'agent technique de l'ONCFS.
Une grenouille-taureau capturée en GirondeAujourd'hui, ce batracien qui vit jusqu'à l'âge de neuf ans et hiberne d'octobre à mars est surtout présent dans les départements de la Gironde et de la Dordogne mais également dans les Landes, le Lot-et-Garonne, le Loir-et-Cher et la Savoie. Il n'y a pas d'estimation globale.
La grenouille taureau (Rana catesbeiana) se nourrit à 50% d'autres amphibiens, et de tout ce qui passe à sa portée : crustacés, insectes ou même des oisillons, raconte Mathieu Detaint, écologue à l'association Cistude-nature basée au Haillan (Gironde).
Cistude a commencé en 2003 un programme d'éradication, sur quatre ans, de cet amphibien qui ne connaît pratiquement aucun prédateur et pond jusqu'à 25.000 oeufs par an -contre 10.000 maximum pour les espèces locales.
Le projet-pilote a visé dans un premier temps à dresser un inventaire des différentes zones de présence de la grenouille taureau, et dans un deuxième temps à rechercher les meilleurs moyens d'éradication.
"On a testé la vidange des étangs, mais c'est coûteux et pas suffisamment efficace car il y en a toujours qui restent", souligne Mathieu Detaint, responsable du "programme taureau" pour Cistude, qui est soutenue par des collectivités locales.
Le piégeage avec des grosses nasses se révèle en revanche efficace pour les grenouilles quand elles sont au stade de têtard ou juvénile, remarque l'écologue.
"Mais c'est pour le moment le tir au fusil, permettant d'éradiquer les reproducteurs, qui a prouvé la meilleure efficacité", estime Luc Gueugneau.
La chasse se fait la nuit, moment où elles sont le plus actives et le plus facile à repérer.
"Nous avons déjà organisé cinq sessions entre septembre 2004 et juillet 2005, ce qui nous a permis d'en tuer environ 120" en Gironde, selon Mathieu Detaint.
"Au début l'idée nous paraissait saugrenue", ne cache pas l'écologue, "mais elle a nous a peu à peu convaincue, car elle a permis d'éradiquer tous les adultes sur les deux sites où elle a été testée".
Un programme d'éradication à grande échelle devrait être mis en place à compter de 2007 et l'association Cistude espère voir disparaître cette envahisseuse d'ici cinq à dix ans.