Au Moyen-Age, les enfants “allaient à moutarde” armés d’un pot de grès comme ils allaient chercher du lait, du beurre, voire même du vin aux échoppes de la ville.
Au XVIIIe siècle, fabriquer de la moutarde relevait d’un privilège accordé par décret royal.
C’est dire l’importance apportée à la qualité de cet or jaune.
Aujourd’hui régie par des règles de fabrication très précises, la moutarde donne lieu à pas mal de fantaisies : moutarde en poudre, moutarde rouge, violette, moutarde à l’ail, aux anchois, aux câpres, au citron, à l’huile d’olive, aux fines herbes, à l’estragon, aux truffes... mais aussi au champagne, et même au pain d’épices, au cassis, au vinaigre balsamique, aux champignons ou aux oignons...
Dijon n’aurait donc plus le monopole de la moutarde ?
Des graines, du jus et des épices
Fabriquer de la moutarde paraît assez simple mais savoir doser les différents ingrédients pour en tirer le maximum d’arômes et de force relève d’un brillant savoir faire.
Les graines de moutarde séchées sont décortiquées, moulues et tamisées pour aller chercher tous les parfums.
La moutarde française est fabriquée à base de graines de moutarde brune ou noire, ou le plus souvent d’un mélange des deux.
Ce mélange est ensuite délayé avec du jus de raisin fermenté ou du vinaigre de vin, ou toute autre sorte de vinaigre selon les recettes et les modes.
La moutarde de Dijon
Reconnaissable à sa couleur jaune dorée et à sa consistance presque liquide, la moutarde de Dijon est une véritable institution.
Pour la moutarde de Dijon, Bourgogne oblige, on utilise du verjus (suc de raisins et de vin blanc).
Cette recette, particulière à la fameuse moutarde de Dijon, nous vient du XVIIIe siècle.
La moutarde de Dijon est une appellation, une recette en d’autres termes.
On peut donc la fabriquer ailleurs que dans cette ville de Bourgogne à condition de respecter des règles très précises.
La dénomination “Moutarde de Dijon” est réservée aux moutardes en pâtes fabriquées avec des produits blutés, c’est à dire débarrassés des impuretés par tamisage : la proportion de tégument (résidus de l’enveloppe de la graine) ne doit pas dépasser 2%.
L'appellation fixe aussi les taux de produits secs ajoutés à la fabrication du condiment comme le sel et le sucre.
La moutarde à l'Ancienne
La moutarde à l'ancienne est une moutarde française qui contient des graines de moutarde brune concassées dont l'enveloppe est partiellement tamisée.
Même si elle entre dans la gamme des moutardes fortes, ce mode de préparation lui confère une certaine douceur.
La plus célèbre est la Moutarde de Meaux, facilement reconnaissable dans son pot de grès ennobli d’un cachet de cire rouge.
La moutarde violette
Plus rare, la recette de cette moutarde date du XVIe siècle et provient de la région de Brive.
Sa couleur foncée provient de la présence de ses téguments au moût de raisin, au vin et au vinaigre.
Mais pourquoi ça pique ?
La graine de moutarde est, nous l’avons vu d’apparence inoffensive.
Préparée en sauce, elle peut pourtant devenir un redoutable condiment ce qui devrait rappeler le raifort. Pour comprendre cette singulière métaphorphose de l’ange en démon, il faut traiter d’un peu de chimie.
Deux substances contenues à l’état naturel dans la graine en sont responsables : la sinigrine et la myrosine. Sous l’action du broyage et en présence d’eau, ces deux substances se mélangent et produisent une molécule aromatique, l’isothyocyanate d’allyle, qui provoque la sensation de piquant lorsqu’elle est en contact avec les cellules sensitives de la bouche.
C’est donc une réaction chimique qui est à l’origine du “piquant” de la moutarde.
Cette molécule est tout de même très volatile et la moutarde a tendance à perdre de sa force avec le temps. C’est pourquoi la moutarde doit être conservée au frais. A défaut, une moutarde même forte s’adoucira peu à peu.
Les origines du mot
Le mot moutarde proviendrait de l’association des mots latins Musum et Aderns : le moût brûlant.
Les Romains connaissaient donc déjà la moutarde et en fabriquaient.
Mais son utilisation est beaucoup plus ancienne.
Les Chinois cultivaient la moutarde et consommaient les graines entières ou pilées comme épice dès le Ve millénaire avant J-C.
Plus proche de nous, les Evangiles font par deux fois allusion à la graine de sénevé et lui associent l’image de la puissance de la foi.
Pour résumer, disons que toutes les civilisations, les Grecs, les Hébreux, les Egyptiens, les Scandinaves ont apprécié leur dose de moutarde tantôt symbole de fertilité, de force, associéee à des pouvoirs magiques, de guérison, de magie parfois.
Autre hypothèse plus épique cette fois, en 1382 lorsque Philippe le Hardi, duc de Bourgogne voulu soumettre les Gantois révoltés, il leur imposa un siège avec l’aide de son neveu Charles VI, Roi de France.
La légende semble fantoche mais le jeu de mot est rigolo.
En remerciement des bons et loyaux services des Dijonnais qui avaient fourni mille hommes au souverain, il leur accorda le droit de porter ses armes et sa devise inscrite par la suite sur l’une des portes de la ville : “Moult me tarde” qui par déformation est devenu moutarde.
Cette explication peu vraissemblable démontre au moins une chose : Dijon était déjà célèbre au XIVe siècle pour sa moutarde.
La moutarde a peu à peu conquis ses lettres de noblesse. La corporation des moutardiers-vinaigriers est apparue au XVIe siècle, époque à laquelle les recettes ont été officialisées sous le patronage de Saint-Vincent.
La recette de la moutarde
Bien que la profession artisanale de moutardier-vinaigrier soit une espèce en voie de disparition, mise à mal depuis des décennies par l’industrie alimentaire, il existe toujours autant de recettes que de fabricants. Sans parler des moutardes anglo-saxonnes le plus souvent aromatisées ou agrémentées d’autres condiments au vinaigre, les pickles (cornichons, morceaux de chou-fleur, maïs, petits oignons blancs...).
La moutarde à l’ancienne est normalement diluée au verjus (suc acide que l’on extrait du raisin cueilli vert).
Pour une recette à l’ancienne, diluez au verjus 500 g de farine de moutarde noire, 100 g de farine de blé, 12 g d’épice de votre convenance, 2 clous de girofle, 5 g de gingembre, 100 g de sucre et autant de sel, puis gardez au frais.
La moutarde à l’anglaise est réalisée à partir de graines de moutarde blanche, et d’épices tels que le gingembre, le curcuma, puis le tout dilué au vinaigre.
Les mots
La moutarde lui monte au nez signifie être gagné par l’impatience, la colère
La moutarde est comme les affaires, on en brasse beaucoup mais on en fait peu de bonnes.
Une salade sans moutarde est comme une jolie femme sans esprit.